Centre d’accueil de Couvet

jeudi 11 juillet 2013



Ca y est, la salle est prête: toutes les tables sont repoussées contre les murs, transformées en comptoirs sur lesquelles sont posés les “trash cymbales”, les “wood claps”, les “bottle shakers” et autres objets sonores de petite ou moyenne taille. Les grands instruments, pour la plupart des structures montées verticalement, sont espacés autour des deux colonnes au milieu de la salle afin de permettre la circulation des participants.

À 14 heures la porte de la salle est ouverte et les premiers curieux apparaissent. Sans vouloir entrer dans une démarche didactique, je prends quand même le temps d’expliquer comment se joue chaque instrument en suivant par une mini démonstration. Leurs regards sont un mélange d’étonnement, de méfiance, d’incompréhension et de quand même pas mal d’amusement.
C’est la première fois qu’ils voient de pareils objets et suite à ma présentation, un des visiteurs demande, “Comment va-t-on faire de la musique avec tout cela?” Je réponds aussitôt, “Par le rythme et l’écoute entre vous, mais d’abord faites un tour, essayez les instruments librement”.

En peu de temps l’espace auditif est saturé; autant de rythmes différents que de coups isolés semblent générer une excitation parmi les participants qui à leur tour frappent, grattent, secouent et pincent avec encore plus d’intensité. En moins d’un quart d’heure le volume sonore atteint un tel niveau que les premières “victimes” se sauvent pour regagner leurs chambres.

Rien de mieux pour obtenir le calme qu’un fort sifflement accompagné par un lent “applaudissement”. Aussitôt, je prends une paire de petits “recycled maracas” et commence à les secouer régulièrement sur un cycle de quatre temps en proposant à haute voix que les joueurs me rejoignent une fois que je compte “une, deux, trois, quatre”. Pour arrêter le rythme collectif, de nouveau un compte jusqu’à quatre. Pendant le premier silence je propose de nommer un nouveau soliste à chaque arrêt. C’est reparti et avec chaque joueur en mode “solo”, on entend tout de suite qui est “dedans”, alignant son jeu avec le rythme de base. Certains “solistes” provoquent des rires des autres tellement leur coups semblent hors de propos, alors que d’autres, comme la grande femme assise derrière un tonneau en plastique et frappant avec une baguette faite de multiples couches de veilles chaussettes, affirment le rythme proposé avec une régularité constante.

Certains participants restent cloués à un objet bien que je propose que tout le monde fasse le “touriste” en circulant entre les différents instruments mis à disposition. Par moments “la mayonnaise prend” et même le petit “tonatem” est entendu au même titre que la “batterie multi – boîte”. Une sorte de cycle progressif entre le chaos et une polyphonie synchronisée se déroule à quelques reprises avant qu’un épuisement général ne plombe l’ambiance qui reste néanmoins de bonne humeur. Assoiffés, plusieurs participants partent à la recherche de quelque chose à boire, d’autres sortent pour faire une pause clope.

Au moment où un silence s’installe, des plombiers arrivent pour réparer le radiateur au fond de la salle. Leurs travaux, loin d’être bruyants, exigent au contraire un minimum de bruit dans la pièce. C’est le moment idéal pour installer sur une table le “kit kazoo” où chacun des participants restants apprend à construire un petit instrument qui prend vie grâce aux cordes vocales, que ce soit un fredonnement, un cri ou carrément une chanson. La réalisation de l’objet implique l’entraide; des couples bricoleurs se forment et en peu de temps les premiers kazoos “sonnent”.
Un garçon de cinq ans ne saisit pas tout de suite le principe des vibrations vocales et ses essais ne donnent pas plus qu’un aspirateur alors qu’autour de lui on entend des rires, des bribes de mélodies à travers des kazoos que certains ont déjà personnalisés à l’aide des stylos feutres.
Différents participants essaient d’expliquer au garçon comment ça joue, et finalement un premier cri est émis suivi par un grand “Aaah!” généralisé. Peu après il part dans le corridor, chantant à tue-tête sans arrêt.



Les kazoos sont construits, le radiateur est réparé, il ne reste qu’un participant, toujours là depuis le début, discret, pinçant rythmiquement la corde du mini “tonatem”. Intrigué par son jeu qui n’a rien à voir avec ceux des autres participants, je prends un autre “tonatem”, jouant une sorte de contre temps à son motif. Ca dure quelques minutes sans interruption, comme une promenade légère, puis sans avis préalable on arrête tous les deux en même temps, on se regarde et on éclate de rire.

L’heure du démontage et du transfert des instruments dans le minibus arrive. Plusieurs participants donnent un coup de main et en moins de dix minutes le véhicule est chargé. Assis par ici, par là, quelques uns des participants se reposent, pensifs, silencieux. Je fais un tour pour dire au revoir, serrant la main de chacun en le remerciant de sa participation. “C’est nous qui te remercions” dit un d’entre eux. Je ne sais pas quoi dire de plus, au moins leur souhaiter “tout de bon” comme j’ai appris moi-même il y a plusieurs années.

Les participants ce jour-là sont tous des requérants d’asile. Ils vivent dans un centre d’accueil à Couvet en attendant leur sort qui sera décidé par les autorités fédérales. Environ soixante dix personnes d’origine africaine, asiatique, sud américaine, sont logés dans ce bâtiment d’architecture des années cinquante: enfants, adultes, hommes et femmes, célibataires, mariés, veuves. Plusieurs mois vont s’écouler avant que chacun et chacune sache si il ou elle peut rester en Suisse, ou si il ou elle doit repartir. Pendant leur séjour au centre, certains apprennent à parler et ou à lire le français grâce aux cours organisés par les responsables du centre. Des activités ponctuelles sont proposées de temps en temps. Mon intervention au centre d’accueil a eu lieu grâce à Mme Chloé Nicolet-dit-Félix, photographe talentueuse qui a déjà organisé bénévolement plusieurs activités en invitant des animateurs, enseignants ou d’autres personnes qui maîtrisent une forme d’expression qui peut intéresser les résidents du centre.

Bill Holden

Voir aussi l’article de Impartial du 31 juillet 2013 sur les atelier artistiques organisé au centre de premier accueil pour requérant d’asile de Couvet par Chloé Nicolet-dit-Félix: Couvet-Impartial-13-7-13 (pdf)



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